Down The Rabbit Hole : une anthropologie de la circulation des médias thaïlandais à l’heure de la globalisation numérique
Auteur : Degay Delpeuch, Edouard
Sous la direction de : Bénédicte Brac de la Perrière et Pierre Petit
EHESS, Paris
Texte français
Mots clés : Anthropologie, Thaïlande, Média, Modernité, Thaïlande, Anthropologie numérique, Cryptocolonialisme, Musique du monde, Système de recommandation (informatique).
Résumé
Jusqu’où un algorithme de recommandation peut-il mener ? Quelle face cachée de la globalisation est-il susceptible de révéler ? Cette thèse porte sur un réseau d’acteurs qui s’organise autour de la redistribution d’enregistrements en provenance de Thaïlande depuis le tournant des années 2010. À partir d’un terrain ethnographique étalé sur plus de deux années en Thaïlande, en France et dans plusieurs pays est-asiatiques, je retrace la circulation internationale d’une vidéo publiée en 2011 par le groupe Khun Narin, découverte par hasard par un internaute nord-américain « au fond d’un terrier de lapin » sur la plateforme YouTube (down a YouTube rabbit hole) avant d’être partagée en tant que « musique psychédélique thaïlandaise ». Partant de ce cas, je propose d’abord une réflexion critique sur la notion de « musiques du monde » (world music) et sur les transformations que ce champ musical connaît à travers les réseaux numériques (« musiques du monde 2.0 »). Durablement structurées par des relations asymétriques entre artistes et producteurs venus d’Occident, les musiques du monde évoluent avec Internet et la possibilité offerte à tout musicien de publier ses propres médias. L’enjeu de cette thèse est d’interroger les imaginaires et les rapports qui émergent de ces nouvelles possibilités de partage. Les enregistrements thaïlandais qui circulent dans le réseau des musiques du monde 2.0 sont caractérisés par une forte identité formelle avec des musiques venues d’Occident. Mais à la différence du précédent régime des musiques du monde, ceux-ci sont directement réalisés par les musiciens ou collectés au sein d’industries musicales régionales. L’expérience médiatique qui se produit « au fond d’un terrier de lapin », à travers la recommandation YouTube, est alors celle d’un contact avec une modernité musicale qui ne résulte plus d’une appropriation technologique par un opérateur occidental. J’interroge donc le modèle original de modernité que cette expérience révèle et j’observe la façon suivant laquelle il peut être mobilisé, par un public en Europe ou en Amérique du Nord, pour repeupler un imaginaire musical de représentations qui ne seraient pas centrées sur l’Occident. Mais est-il seulement possible de penser une modernité musicale sans penser « avec » ou « contre » un modèle qui trouverait ses racines en Europe ou en Amérique du Nord ? Les auditeurs que j’observe appellent des problématiques à la croisée des études postcoloniales, des Thai studies et de l’anthropologie digitale et permettent d’étudier comment elles se développent sur un terrain ethnographique. Acteurs de premier plan d’une autre globalisation musicale et sonore, ils révèlent les rapports historiques de la Thaïlande avec le reste du monde et questionnent la capacité d’un pays qui n’a pas connu de colonisation directe à déterminer sa propre modernité. À travers toutes ses dimensions, ils montrent la capacité des réseaux numériques à transformer différents mondes sociaux ou à les reproduire.